Voici le premier papier que j’ai écrit en mars 2010, avant la naissance de ce blog. La question de la croissance et de la compétitivité, qui apparaissait comme totalement accessoire, pour ne pas dire incongrue, il y a un an se pose aujourd’hui avec force. La dégradation de la note de la France par Standard&Poor’s, vendredi dernier, n’est pas seulement liée au niveau élevé de notre endettement public. Elle vient surtout sanctionner une politique économique défavorable à la croissance et à l’emploi. Il est illusoire de croire que la crise de la dette se réglera uniquement à coups de cures d’austérité.
Depuis un an, les choses ont quand même un peu bougé. L’idée qu’un Etat de la Zone Euro puisse restructurer, même partiellement, sa dette a enfin été acceptée. De même, de manière encore trop timide, il commence à être admis que les marchés financiers devront non seulement assumer la perte d’une partie de leurs créances souveraines, mais qu’ils devront aussi financer la prévention des prochaines crises via une taxe sur les transactions financières. En tant que citoyen, je ne peux que regretter la lenteur de ces évolutions, les hésitations et l’inertie des dirigeants européens. Du courage, de la fermeté et la recherche permanente de justice sociale, voilà ce que je souhaite pour cette année 2012. Les peuples le méritent !
A la recherche de la compétitivité perdue
L’économie du Vieux Continent semble enlisée dans des problèmes structurels qui hypothèquent, au moins à court terme, sa croissance. Face à la perspective d’une stagnation économique, accompagnée d’un endettement public incontrôlé, d’un chômage élevé et d’une mondialisation qui bouscule le modèle social européen, le Politique devra proposer un avenir où tous les citoyens pourront trouver leur place. Dans le cas contraire, le malaise social croissant pourrait saper les fondations de nos démocraties.
Les mirages des « modèles »
Confrontés à des difficultés économiques qui semblent insurmontables, beaucoup de décideurs économiques européens, et c’est surtout vrai en France, se tournent vers le modèle allemand. Ces décideurs n’ont d’yeux que pour l’Allemagne qui affiche des performances économiques enviables. Ils sont en effet orphelins du modèle anglo-saxon depuis la crise financière de 2008 qui a révélé l’extrême exposition au risque de ces économies, dont la croissance reposait pour une large part sur la consommation à crédit et la spéculation immobilière. Or l’Allemagne a enregistré pour l’année 2010 une croissance de 3,5%, soit le double de celle de la Zone Euro. Tous les autres clignotants de l’économie allemande sont aussi au vert : grâce à puissant réseau de PME exportatrices, le pays enregistre un fort excédent commercial, le taux de chômage diminue et l’endettement public est maitrisé.
Mais en économie comme dans la vie, il ne faut pas toujours se fier aux apparences, surtout lorsqu’il s’agit de statistiques. Après tout, comme le soulignait à juste titre, Winston Churchill, « il existe trois types de mensonges : les petits mensonges, les gros mensonges et les statistiques ».
Ces chiffres ne doivent en effet pas masquer la dimension non durable du développement économique allemand. La compétitivité allemande s’est en partie construite sur une stagnation des salaires qui bride la consommation intérieure, les inégalités sociales ont fortement progressé, la faiblesse et l’affaiblissement de la politique familiale allemande encourage un déclin démographique qui menace le potentiel de croissance à moyen terme et le financement de système de protection sociale à long terme.
Cependant, la réussite relative de l’Allemagne reste intéressante à bien des égards. Contrairement aux arguments avancés par les admirateurs improvisés de l’économie allemande, cette compétitivité ne se résume pas seulement à un cout du travail « maitrisé ».Non, les performances de l’Allemagne s’expliquent avant tout par une stratégie industrielle axée sur le long terme. L’effort de R&D y est important, les grandes entreprises nouent des partenariats constructifs avec les PME (par opposition aux grands donneurs d’ordre français qui fragilisent leurs sous-traitants), le dialogue social y est responsable et constructif, le pouvoir de l’actionnariat est contrebalancé par une implication financière forte des collectivités locales (les Länder contrôlent les caisses d’épargne qui financent les PME) qui font de l'investissement et de l'emploi local une priorité. Ce dernier point est intéressant. Il prouve que l’implication de la puissance publique dans l’économie, loin d’être un handicap, est un formidable facteur de compétitivité.
Quelle voie pour retrouver le chemin de la croissance ?
L'expérience allemande peut au moins avoir le mérite de nourrir la réflexion sur la politique économique qui reste en Europe assez floue et pauvre en comparaison des stratégies de croissance d'autres régions du monde. Notre continent souffre en effet d'un manque de vision et d'ambition pour son développement économique. La seule perspective qui semble être offerte aux peuples européens est une cure d'austérité couplée à un détricotage des systèmes sociaux.
Le Pacte pour l'Euro proposé par Paris et Berlin semble hélas aller dans cette direction.
Certes, l’endettement public de beaucoup d’Etats n’est plus soutenable, mais l’austérité budgétaire, surtout si elle est prolongée, aura pour conséquence de saper les fondements futurs de la croissance européenne. On voit mal en effet comment une politique prolongée de sous investissement public, et partant un délaissement des infrastructures matérielles et immatérielles, pourrait bénéficier à la croissance européenne à long terme. Enfin, puisque le développement économique doit d'abord servir les Hommes pour être durable et social, on ne peut faire l'économie d'une réflexion sur une stratégie courageuse de soutien à la croissance et de partage de ses fruits. Elle est le seul remède efficace contre l'endettement public et le chômage. Dès lors, si l'Europe n'a plus beaucoup d'argent, elle se doit d'avoir des idées.
Le débat sur le redressement de l'économie européenne ne doit donc pas se limiter à la discipline budgétaire mais concerner aussi la convergence sociale et fiscale, la politique industrielle, l'éducation, la politique commerciale et la protection des emplois européens, la conversion à l'économie verte...
Bref, l'Europe est en quête de compétitivité et de prospérité, mais aussi et surtout de Politique.